Voici cinq principes qui, lorsque nous les respectons, permettent d’atteindre un jeu d’acteur efficace.
- Le premier principe consiste à comprendre que le jeu de l’acteur est déjà en nous, depuis la plus tendre enfance, il ne s’agit donc pas d’accumuler encore des savoirs et des techniques. Au contraire, il s’agit plutôt de lâcher prise avec l’intellect, le raisonnement, la logique et enfin de faire confiance à notre propre corps et nos propres capacités car tout est déjà là, en place depuis toujours.
- Le deuxième principe est d’avoir une vision juste de notre propre rapport avec le public. Faire du spectacle, c’est faire un cadeau à l’autre. Le cadeau, c’est ce que nous avons travaillé et que nous apportons pour surprendre, faire sourire et émerveiller. C’est donc une forme d’amour pour l’autre, faîte de générosité mais qui , parce qu’elle ne s’inscrit ni dans la volonté de paraître le meilleur, ni dans celle d’avoir du pouvoir sur l’autre, nous apporte naturellement une forme de relation apaisante, nous permettant en retour de recevoir beaucoup d’énergie. Nous pouvons nous placer du côté du public, être celui qui donne ou vouloir être contre lui et être celui qui veut prendre, celui qui veut paraître, celui qui veut dominer. Dans l’un des cas seulement, on reçoit beaucoup...
- Le troisième est que le secret de la présence théâtrale, le magnétisme que dégage certains acteurs, provient dans leur capacité à se concentrer uniquement sur ce qu’ils font dans le moment présent. Il faut être là dans l’instant et nulle part ailleurs pour pouvoir rayonner de la présence qui capte et fascine l’esprit du public. Lorsqu’on est uniquement dans le vécu de l’instant, non perturbé par des pensées parasites, il ne peut y avoir ni mauvais jeu d’acteur, ni aucun stress car ceux-ci résultent précisément d’une mauvaise projection dans l’avenir (que vont-ils penser de moi ? ...) Celui qui ne vit pas l’instant devient plus fade, se dilue. L’intense concentration dans le geste que l’on effectue lui donne une rare intensité.
- Le quatrième principe est celui du texte dit «texte silencieux». La communication étant principalement non verbale. Le public perçoit toujours l’incohérence du corps. Si j’ai écris préalablement un texte que j’ai mémorisé et qui occupe pleinement mon esprit, ma gestuelle et mon attitude deviennent naturellement justes, même lorsque je n’ai rien à dire. Si je suis un magicien et que veux jouer pleinement mon rôle de magicien quand une pièce disparaît de ma main, je peux intérieurement me dire le texte suivant : «je sens la pièce se dissoudre dans la main, c’est une étrange sensation... j’ouvre la main, regardez, il ne reste qu’un peu de poussière métallique, qui s’évapore et tourbillonne, avant de se dissoudre... voilà, la pièce a disparu... fabuleux, non... j’en suis moi-même surpris...». Evidemment aucune parole n’est prononcée mais ce texte invisible rend cohérent notre expression et donne une puissante conviction à notre jeu. Il faut non seulement apprendre et jouer le texte, celui qui est entendu par le public et que l’on a écrit où qui est celui d’un autre auteur mais il faut aussi pouvoir écrire, apprendre et jouer le texte intérieur, celui que l’on ne dit pas mais qui se perçoit à travers notre corps. Car ce texte silencieux sera votre guide intérieur dans les méandres du jeu théâtral.
- Enfin le dernier principe est de ne pas essayer de montrer directement les choses mais confier ce soin à votre propre corps. Donnez-lui des images et faîtes-lui confiance. Dans l’exemple du texte silencieux illustrant une pièce qui disparaît, l’idéal est de visualiser la poussière métallique qui disparaît. Si vous êtes capable de visualiser cela, au moment où vous ouvrez votre propre main, il n’y a rien à faire d’autre, le corps sera naturellement juste et convaincant. Si vous confiez à votre intellect le soin d’interpréter la disparition de la pièce, il vous viendra à l’esprit un haussement de sourcil grossier, une mimique d’étonnement exagérée... vous serez, au mieux, peu crédible au pire ridicule. Si vous vous contentez de visualiser une pièce qui devient poussière et disparaît ensuite, le corps rendra tout cela fin et subtile dans votre propre attitude. Sans même pouvoir l’analyser, votre jeu d’acteur deviendra performant, magnétique, magique. Parce que vous avez pendant un instant cru vous-même à votre propre magie alors il ne fait aucun doute que tout le monde y croira.
Le jeu d’acteur est un jeu étrange et paradoxale fait de lâcher-prise, de confiance en notre propre corps, de visualisation et de vécu de l’instant.
Avant d’être une pratique, le jeu d’acteur est une croyance.
La croyance que nous avons en nous, dans notre propre inconscient, depuis notre petite enfance qui n’est que jeu et posture naturelle, tout ce qui nous est utile pour être un bon acteur. C’est aussi la prise de conscience que si nous envoyons des intentions et des images à notre inconscient, il produira immédiatement l’attitude juste dans notre corps. C’est enfin un renoncement, celui de croire que nos propres mots, notre propre logique, notre propre volonté peuvent tout dominer. Plus de 80 % de la communication est non verbale et la majeure partie du langage du corps nous échappe. Nous ne dominons rien. Nous sommes donc contraints à avoir une attitude juste envers le public et une attitude juste envers notre propre corps. Si nous voulons méconnaître ces règles, rien ne marchera jamais pleinement. Si nous les acceptons, tout deviendra facile et immédiat. Beaucoup n’y croient pas et passent énormément de temps à lutter pour se dominer, dominer le public, dominer le monde.
Ce n’est, à mon avis, qu’illusion.
Il y a de la magie en nous, mais elle impose ses propres règles. Vouloir l’asservir est inutile, nous pouvons tout juste la servir.