Le trickster et le flow

Milton Erickson et la transe

Carlos, trickster et mexicain

Je me rappelle de cette conversation avec Carlos, un vieux musicien mexicain.

Nous étions tous les deux programmés dans un lieu inhabituel, une sorte de cabaret alternatif situé à Langon. J’y jouais mon spectacle « Le cabinet de curiosités de l’esprit », un spectacle sur le fonctionnement du cerveau où s'entremêlent hypnose, expérimentations ludiques et découverte de l’autohypnose. Nous évoquions la douce folie des grands maîtres spirituels et plus je parlais avec Carlos, plus le Trickster en lui s’exprimait. Il y avait de la malice et de la jubilation dans ses propos. Il disait qu’il n’était plus qu’une vieille carcasse pourrie et que tout le monde essayait de le convaincre du contraire. Il ajoutait « ils vivent tous dans l’illusion qu’ils sont éternels ».

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Par une sorte de paradoxe habituel dans le monde des Tricksters,
«celui qui vit sa vie comme un jeu ou comme une farce», approche davantage la réalité que ceux qui la considère comme quelque chose de grave et sérieux. 
 En fait, la vie ressemble exactement au portrait que nous nous faisons d’elle. 

 Dans son livre «The top five regrets of the dyings», Bronnie Ware, une infirmière canadienne, en soins palliatifs, a recueilli les plus grands regrets des mourants. 
Celui qui vient le plus souvent, le numéro un est : « J’aurais aimé avoir eu le courage de vivre la vie que je voulais vraiment, pas celle que les autres attendaient de moi.» 
Je demandais à Carlos, s’il regrettait quelque chose de son parcours et il m’a répondu : «J’ai exactement fait ce que je voulais faire, il ne me reste plus qu’à terminer mon livre sur «Les mondes enchassés ou la perception d’une autre réalité». 
Mais c’est pas si simple car je dois accéder à un niveau supérieur...» et il s’est mis à rire. 

Changer de niveau pour surfer davantage sur l’expérience est l’ambition unique de tous les vrais joueurs. Il a pris sa guitare, commencé son spectacle et je me suis retiré pour faire une séance d’autohypnose avant de commencer le mien. 
J’avais peu dormi, la nuit précédente et il me fallait être en forme mais je savais que je pouvais négocier cela avec mon inconscient. 
Le Decepteur des anthropologues ou trickster, le «fripon divin» de Carl Gustav Jung, le joueur de tours est le personnage du rusé, de celui qui trompe et l’une des figures du magicien. La mythologie en fait Hermes, le dieu grec des voleurs ou Loki, le dieu fourbe scandinave. 

 Jung y voit encore une des formes du clown, du bouffon, du chaman. 
 Il est à la fois persécuteur et victime, rusé et sot, mystificateur et mystifié. Il introduit du déséquilibre, de la perversion dans un monde qui s’endort dans son propre confort. Il dérange l’ordre établi et amène le chaos, prélude à la renaissance. 

Paul Radin, anthropologue, devenu célèbre par ses études sur le trickster, permet à Jung d’approfondir son concept de l’enfant divin. 

Paul Radin décrit, dans «le Winnebagos et le cycle du Fripon», un article paru dans l’ouvrage collectif de Jung « Fripon Divin, un mythe indien» en 1958, le personnage du trickster. 
Les indiens sioux, Winnebagos, nomme Wakdjunkaga (celui qui joue des tours), ce personnage mi homme, mi dieu qui brave les interdits et bouscule les conventions. Un personnage à la fois rusé et stupide, héros et bouffon. 

Paul Radin écrit «Il est le négateur, l’affirmateur, le destructeur et le créateur». 
Pour les indiens, il incarne la réalité complexe des choses, tandis que Jung y voit l’enfant divin qui est en nous. 
On peut facilement concevoir que cette partie de nous même contient notre capacité à s’émerveiller et à recréer le monde. 

Le coeur secret qui vibre en nous et qui nous reconnecte au mystère, la source primale de la vie. 
Cet enfant, encore dans l’illusion d’un pouvoir absolu sur le monde, qui utilise le mensonge pour se mentir à lui même, mais qui est aussi le moteur de nos passions. 

L’enfant divin est un enfant créateur. 

Le trickster est toujours là, présent au fond de nous-même et si on ne l’écoute pas, il nous tiraille de l’intérieur, nous fait souffrir. 
Il est l’enfant divin, l’enfant créatif en nous. 
Il est la vie, avec sa beauté et parfois sa cruauté. 

Celui qui ne l’écoute jamais se perd, ailleurs qu’en lui-même mais celui qui l’écoute toujours se perd aussi. 

L’enfant créatif est une partie de nous-même qu’il nous faut savoir accueillir avec suffisamment de recul pour en recevoir les bienfaits et uniquement les bienfaits. Il nous faut lui expliquer ce que nous voulons de lui et écouter avec attention les solutions qu’il nous propose. 

Il prendra pour nom : intuition, créativité, génie, passion, autoguérison…. 

Le Flow, cet état de focalisation de l’attention dans la pratique d’une activité, qui produit la perte de la notion du temps et un sentiment de liberté, de bien être et d’accomplissement de soi est l’un des cadeaux de la philosophie du trickster. 

Cette expérience totale a été définie par le psychologue Csickzentmihalyi, comme l’un des accès au bonheur. 
Cette transe est celle du joueur qui absorbé dans sa propre pratique éprouve le plaisir du parcours et celle de sa propre progression. 

Avec le Flow, l’unique objectif est son propre apprentissage et l’immersion dans le courant de l’expérience que l’on vit pleinement. 
Ni l’argent, ni la reconnaissance sociale ne sont les vrais objectifs du joueur, seul le Flow, la passion de l’expérience est l’unique motivation et un avant goût d’éternité. 

Carlos ne cherche ni fortune, ni gloire, seulement le plaisir de la transe sur scène et en dehors. 

L’immersion dans l’expérience que l’on vit, ce doux plaisir d’être là, ici et maintenant et de jouer la vie, comme on joue un air de musique, une partie de poker, une traversée des mers en solitaire ou la rencontre avec un autre Trickster.

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